Petite typologie des bullshiteurs

Petite typologie des bullshiteurs

Le bullshiteur est une espèce omniprésente, un caméléon du verbe capable d’enrober n’importe quel néant conceptuel dans un emballage pseudo-séduisant. Certains en font un mode de vie, d’autres une arme de manipulation, et d’autres encore une simple technique de survie.

Mais attention, tous les bullshiteurs ne se valent pas. Voici une classification scientifique, ou presque, n’en déplaise à la zététique, des différentes espèces que l’on rencontre dans la jungle du verbiage creux.

Le Bullshiteur Corporate (Homo Powerpointus)

Habitat naturel : salles de réunion, afterworks, LinkedIn.

Son talent : transformer n’importe quelle évidence en une révélation, enrobée de jargon managérial. Il ne dit jamais "on va licencier", il préfère "réévaluer notre structure pour optimiser les synergies". Il n’explique jamais directement un problème, il "identifie des axes de progression dans une dynamique proactive".

Ses armes préférées :

– Des slides PowerPoint illisibles.

– Des schémas en cercles qui ne signifient rien, mais qui font sérieux.

– L’expression "Notre priorité est d’être dans une logique disruptive".

Sous-espèce notable : Le consultant fumiste (spécialiste en création de besoins artificiels, adore facturer 2000€ la journée pour dire que l’entreprise doit "se réinventer").

Le Bullshiteur Politique (Homo Promessus)

Habitat naturel : plateaux télé, meetings électoraux, couloirs de ministères.

Son talent : parler pendant 45 minutes sans jamais répondre à la question posée. Il excelle dans l’art du flou, la généralité rassurante et l’engagement conditionnel. Demandez-lui s’il va augmenter les impôts, il répondra :

— "Il est essentiel d’avoir une approche équilibrée qui prenne en compte les attentes des citoyens tout en garantissant un cadre budgétaire soutenable."

En clair : Je ne vous dirai rien, mais admirez ma façon de ne rien dire.

Ses armes préférées :

– Des formules creuses comme "Nous devons faire face aux défis du monde moderne".

– L’art de l’élément de langage répété 15 fois.

– La réponse hors sujet ("Votre question est intéressante, mais ce qui est fondamental, c’est…").

Sous-espèce notable : Le technocrate insondable (celui qui remplace toute phrase intelligible par des sigles administratifs).

Le Bullshiteur Marketing (Homo Clickbaitus)

Habitat naturel : publicités, réseaux sociaux, packaging de cosmétiques.

Son talent : faire croire que son produit est une révolution alors qu’il ne change strictement rien. Il vous vendra une crème hydratante en jurant qu’elle "réinvente l’hydratation cellulaire grâce aux extraits bioactifs de sève de bambou".

Ses armes préférées :

– L’abus des mots "bio", "révolutionnaire", "intelligent".

– L’astérisque discret ("Améliore la santé de la peau *chez 5% des testeurs ayant bien voulu répondre au questionnaire").

– Des noms de produits pompeux ("Elixir Quantum Hydraboost 3000", au lieu de "de l’eau en bouteille avec du parfum")

Sous-espèce notable : Le startupeur bullshiteur (capable de lever 10 millions d’euros avec un PowerPoint vide et des phrases comme "Nous réinventons l’expérience utilisateur grâce à une approche holistique").

Le Bullshiteur Académique (Homo Jargonus)

Habitat naturel : colloques universitaires, articles de recherche en sciences molles, conférences TEDx.

Son talent : aligner des mots abscons jusqu’à ce que plus personne n’ose dire qu’il ne comprend rien. Il transforme "un chat est un chat" en "une entité féline inscrite dans une dynamique de territorialisation endogène".

Ses armes préférées :

– Des phrases de 7 lignes qui ne veulent rien dire.

– L’abus des concepts flous ("méta-discursivité", "transversalité paradigmatique", "herméneutique intersectionnelle").

– L’usage excessif de citations de penseurs morts ("Comme le soulignait Derrida…").

Sous-espèce notable : Le Conférencier TEDx New Age ("Et si tout ce qu’on croyait savoir sur les carottes était faux ?").

Le Bullshiteur du Développement Personnel (Homo Guruus)

Habitat naturel : YouTube, séminaires à 3000 €, comptes Instagram inspirants.

Son talent : donner des conseils creux en les vendant comme une philosophie de vie. Il répète des évidences en boucle ("Pour réussir, il faut travailler dur") et joue sur la culpabilisation ("Si tu échoues, c’est que tu n’y crois pas assez").

Ses armes préférées :

– Des punchlines sans contenu ("Le succès, c’est une question d’état d’esprit", "Deviens la meilleure version de toi-même")

– L’abus du mot "prospérité" ("L’univers t’apportera ce dont tu as besoin si tu vibres à la bonne fréquence")

– La vente de formations miracles ("Apprends à devenir millionnaire en 3 mois avec ma méthode secrète !").

Sous-espèce notable : Le Coach LinkedIn, spécialiste du "Levons-nous à 4h du matin pour être plus productifs et écrasons nos rêves sous une to-do list".

Le Bullshiteur du Quotidien (Homo Mythomanus Passifus)

Habitat naturel : réunions de famille, afterworks, conversations de bistrot.

Son talent : embellir la réalité à coups de petites phrases bien rodées. Il est incapable de dire "J’ai raté mon train parce que j’étais en retard", il dira "Il y a eu un incident ferroviaire qui a entraîné une réorganisation des flux de transport".

Ses armes préférées :

– Le classique "On se fait un resto bientôt ?" (qu’il ne fera jamais).

– "Désolé, j’ai pas vu ton message !" (alors qu’il l’a ouvert, lu et ignoré).

– "Trop de boulot en ce moment" (alors qu’il passe ses journées sur Netflix).

Sous-espèce notable : Le tonton baratineur, qui prétend toujours "avoir des contacts haut placés" sans jamais pouvoir le prouver.

Le Bullshiteur Complotiste (Homo Paranoïacus)

Habitat naturel : forums obscurs, vidéos YouTube mal cadrées, dîners de famille où il monopolise la conversation.

Son talent : détecter du bullshit partout… sauf dans ses propres théories. Là où les autres bullshiteurs enjolivent le vide, lui en fait une arme de destruction massive. Tout est caché, tout est manipulé, tout est une façade pour masquer la “vérité qu’on ne veut pas vous dire”. Son discours est un millefeuille d’approximations, d’affirmations péremptoires et de liens imaginaires entre des faits sans rapport.

Ses armes préférées :

– Le “posez-vous les bonnes questions” – Toujours plus simple que d’apporter des réponses.

– Le “suivez l’argent” – La preuve absolue que, si quelqu’un gagne de l’argent, c’est forcément une conspiration.

– Les vidéos “censurées” qui font des millions de vues – Parce que la vérité interdite se cache toujours sur YouTube.

– Le mépris des faits – Quand un élément contredit sa théorie, il ne s’embarrasse pas : c’est “une manipulation”.

Sous-espèce notable : Le décodeur universel – Il a tout compris, lui. Il a “fait ses propres recherches” (en général sur Facebook) et dénonce avec assurance les vérités cachées. Vous êtes un mouton, il est un esprit libre. Vous l’écoutez, il vous explique. Vous doutez, c’est que vous êtes naïf. Lui, il SAIT.